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Le Prix Voix d’Afriques 2021 : Fann Attiki consacré !

Le Prix littéraire Voix d’Afriques 2021 connait désormais son lauréat. Il s’agit de Fann Attiki Mampouya qui a été récompensé pour son roman Cave 72. Le jury avait le choix entre ce roman de Fann Attiki (Congo-Brazzaville) ; Boniche de Ahepka Yves Moïse N’guessan (Côte d’Ivoire) ; Omlicha : mémoires d’une repat’ de Cécilia Emma Wilson (Togo) ; Sur la pointe des pieds de Malek Lakhal (Tunisie) et Talisman de Mamadou Lamine Dame (Sénégal). Et le choix a finalement été porté sur le Congolais qui devient donc le deuxième lauréat du prix, après l’Ivoirien Yaya Diomandé couronné en 2020 pour son roman Abobo Marley.



Émergence de nouvelles plumes africaines francophones

Le Prix littéraire Voix d’Afriques a été créé par RFI et les Éditions JC Lattès, en partenariat avec la Cité Internationale des Arts. Ce jeune prix dont la première édition a eu lieu en 2020 est « destiné à faire émerger les jeunes auteurs et auteures de langue française du continent africain. » Et ce, dans le but de « soutenir et mettre en lumière les nouvelles voix littéraires africaines, des romans reflétant la situation d’un pays, une actualité politique, économique ou sociale ou des textes plus intimistes. »

Cette compétition littéraire est ouverte à tous les jeunes auteur(e)s majeur(e)s de moins de 30 ans, n’ayant jamais publié de livre et résidant dans un pays africain. Lancé le 1er octobre 2019, l’appel à manuscrits de la première édition a connu une envergure remarquable. Plus de 8000 personnes se sont inscrites sur la plate-forme dédiée au concours (prix-rfi.editions-jclattes.fr). Mais seuls 372 manuscrits complets ont été retenus par le comité d’organisation. Et pour cette deuxième édition, environ 350 manuscrits étaient en compétition. C’est suffisant pour exprimer la rudesse du concours et la tâche difficile du comité de lecture qui doit choisir cinq finalistes parmi ces centaines de candidatures.

Le jury du prix Voix d’Afriques est présidé par le célèbre écrivain djiboutien, Abdourahman Waberi, qui a été consacré Grande Médaille de la Francophonie en juin dernier. Dans ce jury, on note la présence de Catherine Fruchon-Toussaint (journaliste RFI), Bénédicte Alliot (Directrice de la Cité Internationale des arts), Véronique Cardi (Présidente des éditions JC Lattès), Anne-Sophie Stefanini (Directrice littéraire des éditions JC Lattès), Josué Guébo (poète et professeur d’université en Côte d’Ivoire), Réassi Ouabonzi (célèbre blogueur littéraire plus connu sous le nom de Gangoueus dans l’espace littéraire francophone), Grégoire Leménager (Directeur adjoint de la rédaction de L’Obs), Béata Umubyeyi Mairesse (poète, nouvelliste, romancière ; auteure de « Tous tes enfants dispersés », Prix des cinq continents de la Francophonie 2020), Stéphanie Hanet de la Librairie Coiffard à Nantes et Bios Diallo (écrivain, journaliste et Directeur des rencontres littéraires « Traversées Mauritanides » en Mauritanie).

Il est à noter que le manuscrit couronné est publié par les Éditions JC Lattès. L’auteur bénéficie d’une résidence de deux mois en France, d’une tournée promotionnelle de son livre et d’une grande visibilité médiatique.


Le lauréat et son œuvre

Fann Attiki Mampouya est né à Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville en 1992. Il est connu comme étant un grand amoureux du slam. Le slam, il le découvre de manière un peu hasardeuse en 2011. Un après-midi, alors qu’il flânait à l’Institut Français pour chasser l’ennui, il avait assisté malgré lui à un atelier de slam organisé par l’Association du Styl’Oblique Congo. Ce fut le début d’une histoire d’amour avec le slam dont il anime plusieurs ateliers depuis des années. Dès son arrivée à Brazzaville en 2016, Fann va entièrement se consacrer à l’écriture et au théâtre. Au début, il est plus porté sur l’écriture des nouvelles et de ses textes poétiques chantés. Ce livre dont le titre du manuscrit était « Cave 69 chez Orgie » est en fait le premier roman écrit par l’auteur. Il était encore inachevé lorsque l’appel à manuscrits avait été lancé. Il a dû se hâter pour le terminer afin qu’il puisse participer à la compétition.

Fann Attiki est donc à la base Slameur et comédien. Ce qui justifie aisément les tournures poétiques et le sens de l’humour qui caractérisent son écriture. En effet, « Cave 72 » est une peinture de la réalité sociopolitique africaine, avec un point d’orgue sur la situation d’une jeunesse désœuvrée et quasiment abandonnée à elle-même. Cave 72, c’est le nom d’un bar à Brazzaville, géré par Maman Nationale. Ce bar se dresse comme le refuge idéal de trois jeunes amis : Verdass, Ferdinand et Didi. Ces jeunes gens sans histoire et qui n’ont jamais fait du mal à personne se retrouvent chaque fois dans leur bar mythique pour tromper l’oisiveté en buvant des bières, en commenter des sujets d’actualité et en récitant des poèmes. C’est un moyen pour eux d’oublier les problèmes politiques, les guerres et autres difficultés que traverse leur pays. Mais cette routine va prendre un coup et leurs vies vont basculer à partir du moment où le secrétaire au Conseil national de sécurité va décider de faire d’eux les coupables d’un complot contre l’État. Face à cette injustice, ils ont enfin la force et le courage d’affronter leurs tortionnaires, les dirigeants qui ne cessent de leur pourrir la vie. Dans ce combat, ils sont soutenus par le peuple tout entier, qui réclame non seulement leur libération, mais aussi la réouverture du bar Cave 72. Les trois jeunes deviennent ainsi, sans le prévoir, des héros de tout un peuple qui n’entend plus se résigner face à l’oppression de la classe dirigeante.

Ce premier roman de Fann Attiki expose une puissance narrative et créative qui portraiture avec une maturité imprévue le quotidien de plusieurs jeunes Congolais, et partant de plusieurs jeunes Africains. Il s’agit d’une jeunesse qui, au péril de sa vie, décide de se réapproprier son histoire, de reprendre ce qu’il lui a été volé : la liberté, le bien-être et la quiétude sociale notamment. La mise en avant d’une jeunesse en quête de liberté qui ressort dans ce texte, fait penser au roman malgache Amour, patrie et soupe de crabes de Johary Ravaloson (Éditions Dodo vole, 2019). On y perçoit aussi clairement le spectre du style propre à Alain Mabanckou — notamment dans ses romans Verre cassé et Black Bazar — qui se lit non seulement à travers la manière un peu facétieuse dont les problèmes quotidiens du continent africain sont évoqués. Mais aussi à travers le choix de l’espace, le bar, qui devient un espace-exutoire, le lieu de consolation pour le mal-être de ces jeunes. C’est également un lieu de rencontre des diplômés, pour la plupart sans emplois, qui n’ont que le bar pour exprimer leurs opinions et leurs critiques vis-à-vis de la mal-gouvernance et autres problèmes ambiants. La force de ce texte réside en partie sur le melting-pot qui caractérise sa construction. On note le mélange des genres (l’oralité), l’enchevêtrement des langues (le roman mêle le français au lingala et à d’autres langues locales présentes dans les deux parties du Congo) entre autres. Le roman Cave 72 est sans doute l’une des plus belles lectures de cette rentrée littéraire et Fann Attiki Mampouya en est l’une des plus belles découvertes.


Boris Noah

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