Depuis mercredi le 10 novembre 2021, l’avion transportant les œuvres d’art emportées par la France durant la colonisation a foulé le sol béninois. Il s’agit de 26 objets récupérés dans le Palais royal d’Abomey en 1892, par les soldats du colonel Alfred Amédée Dodds. Un événement marquant qui a eu lieu en présence de plusieurs membres du gouvernement et dignitaires traditionnels béninois, sans oublier la population venue nombreuse pour être témoin de ce moment mémorable. « Il y a des instants dans l’histoire d’une nation qui changent le cours des choses. Cet instant-là que nous vivons, c’est un instant qui restera gravé, c’est un instant important », a affirmé le Ministre béninois des Affaires étrangères, Aurélien Agbénonci.
Le débat autour de la restitution du patrimoine culturel africain emporté pendant la colonisation fait grand bruit depuis plusieurs années. Selon les estimations des experts, 85 % à 90 % du patrimoine africain se trouvent hors du continent. De nombreux sites culturels et touristiques des anciennes colonies européennes abritent ces objets depuis des décennies malgré moult réclamations des pays africains. Après plusieurs refus, l’État français notamment, par la voix d’Emmanuel Macron, a pris la décision en 2017 de restituer les trésors africains conservés depuis longtemps au Musée parisien du Quai Branly. Dans le rapport mené par les Professeurs Felwine Sarr et Bénédicte Savoy en 2018, il est précisé qu’il s’agit des « biens pillés, volés, butins de guerre, mais aussi ceux, très nombreux, acquis à des prix dérisoires, sans commune mesure avec leur valeur de l’époque, par les marchands, militaires, missionnaires, voyageurs… »
Parmi les 26 œuvres restituées au Bénin, on peut citer les portes sculptées en bois, les statues et les trônes des anciens rois du Dahomey (les rois Ghézo, Glélé et Behanzin par exemple), et de multiples autres objets symboliques utilisés dans ce royaume. Le Chef d’État béninois, Patrice Talon, à l’issue de la cérémonie de signature de l’acte entérinant cette restitution n’a pas manqué de témoigner sa joie : « c’est notre âme qui revient, ce sont vingt-six œuvres royales, bien plus que des objets. Cela relève de notre patrimoine génétique profond […] J’ai espéré, désespéré, et j’ai prié les ancêtres. » Pour José Pliya, Directeur de l’Agence Nationale de promotion des Patrimoines et du développement du Tourisme (ANPT) du Bénin, cet événement est le symbole d’une « véritable restitution mémorielle et patrimoniale en ce sens que ces œuvres qui ont été conçues ici au Bénin dans un contexte historique royal particulier ont été absentes pendant 130 ans et reviennent sur leur terre d’origine. Donc, c’est une émotion très forte. » Par ailleurs, « pour le présent et le futur [c’est] quelque chose d’essentiel […] Le Bénin est un pays riche en termes de pétrole, de gaz ou d’or et de diamant ; c’est un pays riche de sa culture et de son patrimoine. Et ces objets qui sont les témoins du patrimoine vont être mis dans des musées. [Ils] vont apporter au Bénin la possibilité de nombreux touristes qui viendront les voir et en profiter pour découvrir les autres richesses culturelles du pays. »
En effet, ces objets seront exposés pendant trois mois à la Présidence béninoise. Mais avant, ils devront être soumis à deux mois d’acclimatation, question de leur permettre de s’habituer aux nouvelles réalités climatiques du Bénin. Ensuite, ils seront transférés au Musée international de la mémoire de l’esclavage qui se trouve au Fort portugais de Ouidah et à la Maison du gouverneur, pour une durée de deux ans ; et enfin ils seront acheminés au nouveau Musée d’Abomey qui est leur destination finale.
Le Bénin est le premier pays africain, depuis les indépendances, à obtenir une restitution aussi importante de son patrimoine. Mais d’autres pays d’Afrique subsaharienne (à l’instar du Cameroun, du Sénégal, de l’Ethiopie, du Nigéria, de la RDC…) ont soumis des demandes et continuent d’attendre leurs objets d’art, pas seulement de la France, mais aussi de l’Allemagne, de la Belgique et de l’Angleterre entre autres. Comme le dit l’historienne Bénédicte Savoy, cet événement « va changer totalement l’ordre mondial du patrimoine. Et que les résistances auxquelles on était habitué au moins depuis les indépendances […] avec les premières grandes demandes de restitution, ces résistances ont sauté. Les verrous psychologiques ont sauté. Les opinions publiques en Europe et en particulier la jeunesse supportent de moins en moins l’idée d’avoir un privilège culturel d’accès à ces patrimoines, tandis que leurs homologues, les jeunes [établis en] Afrique, n’ont pas accès à ces patrimoines pour des raisons de visas, pour des raisons économiques. Et cette nouvelle justice patrimoniale s’est engagée aujourd’hui, je suis persuadée que les restitutions seront une chose tout à fait naturelle, paisible au 21e siècle, et que l’acte fondateur de cette entrée dans une ère nouvelle a été posé ici à Cotonou. »
Le processus de restitution du patrimoine africain est ainsi lancé, et nous espérons qu’il ne tardera pas à se répandre dans d’autres pays africains. Le Bénin vient de franchir un cap important avec l’acquisition de ces 26 trésors qui, comme le disait Patrice Talon à Emmanuel Macron le 9 novembre dernier, sont loin de satisfaire totalement le peuple béninois : « Monsieur le Président, il est regrettable que cet acte de restitution, si pourtant appréciable, ne soit pas de portée à nous donner entièrement satisfaction. En effet, comment voulez-vous qu’à mon départ d’ici avec les 26 œuvres, mon enthousiasme soit total pendant que le dieu Gou, œuvre emblématique représentant le dieu des métaux et de la forge, la tablette du Fa, œuvre mythique de divination du célèbre devin Guédégbé, et beaucoup d’autres, continuent d’être détenues ici en France au grand dam de leur ayant droit ? » Tout compte fait, ce processus qui a commencé au Bénin sonne comme une « réparation symbolique » des déchirures du passé.
Boris Noah
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