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Congrès mondial des écrivains de langue française : questionner la francophonie !

Le Congrès mondial des écrivains de langue française s’est tenu du 25 au 26 septembre 2021, à la Cité de la culture à Tunis. Il a été organisé sous l’impulsion d’un comité littéraire initié par Michel Le Bris et coordonné par Leïla Slimani, dans l’optique de réunir les écrivains francophones des cinq continents. Ce, dans l’intention de promouvoir le livre en langue française, et de questionner l’avenir de la Francophonie. Pour ce faire, des romanciers, essayistes, poètes et dramaturges d’expression française ont été invités autour d’un programme alléchant avec de grands débats, des rencontres, des tables rondes, des cafés littéraires, ainsi que de grands entretiens.


À la suite des États généraux du livre…

L’idée d’un congrès réunissant les écrivains est née depuis 2017, après que le Président Emmanuel Macron a choisi Leïla Slimani (Prix Goncourt 2016) pour une mission visant à la « refondation de la francophonie » : « j’ai immédiatement pensé que les meilleures personnes pour analyser ce qui n’allait pas dans la francophonie, c’étaient les écrivains », affirme-t-elle. En 2019, Michel Le Bris et Leïla Slimani ont donné corps à ce projet qui n’a pas pu avoir lieu en 2020 comme initialement prévu, à cause de la crise sanitaire. Malgré le décès de Michel Le Bris en janvier 2021, l’idée d’organiser ce congrès est restée vive jusqu’à ce qu’il voie le jour le week-end dernier. Le Congrès mondial des écrivains de langue française est organisé par l’association « Étonnants Voyageurs », en partenariat avec le Ministère tunisien des Affaires Culturelles, le Ministère français de la Culture, le Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères (MEAE), l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) et l’Institut français de Tunisie.


Il faut dire que ce premier Congrès mondial des écrivains de langue française s’est ouvert à Tunis au moment où se refermaient les États généraux du livre qui ont eu lieu les 23 et 24 septembre 2021 dans la même ville. Au cours de ces « États généraux du livre en langue française dans le monde », le problème du livre africain a amplement été discuté. La rareté du livre africain francophone dans les librairies et les autres canaux de distribution demeure une réalité indéniable. Son réseau de distribution est quasiment inexistant ou tout au moins défaillant. Or, l’avenir du livre francophone se joue en Afrique, selon de nombreux participants qui n’ont pas manqué de faire certaines propositions déjà connues. L’accessibilité du livre dans l’espace francophone africain est essentiellement inhérente à la prolifération des maisons d’édition locales. Plus le livre continuera à être publié hors du continent, plus il sera difficile aux lecteurs locaux de l’avoir, à cause notamment de son coût qui demeurera élevé, quels que soient les efforts fournis par les éditeurs étrangers pour revoir les prix à la baisse. Il faut donc travailler à encourager l’édition dans le continent, en promouvant par ailleurs des rééditions et des coéditions, et en cédant parfois gratuitement les droits aux éditeurs locaux.

Le Congrès mondial des écrivains de langue française est donc un prolongement des États généraux du livre francophone, suivant les objectifs et le calendrier de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Ces deux événements sont organisés en prélude au 18e Sommet de l’OIF qui se déroulera du 20 au 21 novembre 2021 à Djerba en Tunisie.


Une trentaine d’auteurs invités

Le Comité littéraire du Congrès est présidé par Leïla Slimani et composé par des noms tels que : Fawzia Zouari, Laurent Gaudé, Yanick Lahens, Felwine Sarr. C’est ce comité littéraire qui s’est chargé d’inviter une trentaine d’auteurs issus de 14 pays dans le monde, des auteurs très connus pour leurs créations littéraires en langue française, mais aussi pour leurs prises de position dans le processus de redéfinition des enjeux de la francophonie. Ces participants ont été choisis à juste titre pour « représenter la littérature en langue française issue des cinq continents, certains ayant fait le choix du français alors que cette langue n’est pas très présente dans leur pays. »

Outre Leïla Slimani (Maroc/France), Fawzia Zouari (Tunisie/France), Laurent Gaudé (France) et Felwine Sarr (Sénégal) ; d’autres auteurs ont pris part à ce Congrès, à l’instar de Souleymane Bachir Diagne (Sénégal), Abigaïl Assor (Maroc), Maïssa Bey (Algérie), Pascal Blanchard (France), Velibor Colic (Bosnie), Kamel Daoud (Algérie), Rachel Khan (France), Yvon Le Men (France), Alain Mabanckou (Congo/France), Yamen Manaï (Tunisie), Achille Mbembe (Cameroun), Grégoire Polet (Belgique), Emmelie Prophète (Haïti), Djaïli Amadou Amal (Cameroun), Katerina Apostolopoulou (Grèce), Sylvain Prudhomme (France), Boualem Sansal (Algérie), Sami Tchak (Togo), Beata Umubyeyi Mairesse (Rwanda/France), Brigitte Smadja (France), Seyhmus Dagtekin (Kurdistan/France), Néhémy Pierre-Dahomey (Haïti), Nathalie Papin (France), Georgia Makhlouf (Liban), Shu Cai (Chine), Bessora (France), Anna Moï (Vietnam/France), Ali Bécheur (Tunisie), Meryem Alaoui (Maroc), Emma Belhadj Yahia (Tunisie) et Assa Filali (Tunisie).

À cause des contraintes liées à la pandémie de Covid-19, certains de ces participants ont participé au Congrès par visioconférence.


Repenser la francophonie

Le Congrès mondial des écrivains de langue française s’inscrit en droite ligne avec certains événements qui ont marqué l’espace francophone ces dernières décennies. Il peut être vu comme le prolongement des débats qui ont été enclenchés autour de la conception de la francophonie. Le mot « francophonie » a toujours fait l’objet de multiples controverses. Certaines acceptions tenues par les amarres de la colonisation l’ont toujours conçue comme une expression regroupant les locuteurs d’expression française issus des pays autres que la France. Par contre, d’autres militent pour une vision plus novatrice qui conçoit la francophonie comme une mise en relation de tous les locuteurs ayant en partage la langue française, lesquels vivent dans un « espace-monde » où disparaissent les notions de « centre » et de « périphéries ».

C’est au prisme de ce dernier aspect qu’est née l’expression « Littérature-monde » qui entend rompre avec toute idée du centrisme de la littérature française et de la marginalisation des productions littéraires en langue française dont les auteurs ne sont pas originaires de la France. On se souvient de l’année 2006 où les prestigieux prix littéraires français − le Goncourt, le Grand Prix du roman de l’Académie française, le Renaudot, le Femina et le Goncourt des lycéens − ont essentiellement été remportés par des auteurs non français. Ce qui a engendré en 2007, la signature du Manifeste « Pour une littérature-monde », par une quarantaine d’auteurs parmi lesquels Édouard Glissant, Alain Mabanckou, Le Clézio, Amin Maalouf, Maryse Condé, Tahar Ben Jelloun, Dany Laferrière. Et par la suite, l’ouvrage « Pour une littérature-monde en français » a été publié sous la direction de Jean Rouaud et Michel Le Bris.


Tout cela a contribué à donner une autre orientation à l’appréhension de la francophonie, et a participé à poser les jalons de ce premier Congrès des écrivains francophones qui vient de refermer ses portes à Tunis. Avec les mouvements migratoires qui exposent le monde à un métissage culturel et partant, à de nouvelles identités peintes aux couleurs de la diversité, il est clair que la francophonie doit être repensée loin des considérations spatiales et coloniales. À cette ère postmoderne, la langue française s’impose plus comme un vecteur de communication qui cesse d’être consubstantiel à un espace donné. Par conséquent, le francophone est celui qui a pour langue d’expression le français, quelles que soient ses origines. Pour le cas de la littérature, un auteur francophone est celui qui utilise le français pour écrire ses livres, quelle que soit son origine. « Les écrivains français sont [donc] des écrivains francophones comme les autres. » (Leïla Slimani)


Boris Noah



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