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Femmes et migration - Partir, s’arracher aux racines.

À la sororité qui relève !


La terre a toujours été traversée par des vents qui soufflent une dimension intemporelle sur les mouvements migratoires vieux comme le monde et qui parachèvent le peuplement des continents au gré des va-et-vient entre explorations, conquêtes, tragiques déportations, exils, et encore de nos jours, pour des besoins impérieux de quiétude, afin de fuir des violences multiples. Ils se résument souvent en une fragilisation extrême de nombreuses femmes, qui se retrouvent clouées au pieu d’un idéal abîmé.




Partir pour mieux revenir ou pour tourner définitivement le dos à ce qui semble difficile à supporter, selon la multitude d’expériences de déplacées diverses ! Faire le choix de s’arracher à sa culture, à la terre nourricière, à l’âme des siens, pour se tourner vers un ailleurs construit dans l’imaginaire, dont l’appel hèle, crée et fortifie l’ardeur qui sous-tend tous les possibles. Mais en définitive, part-on avec l’envie de ne pas revenir ? Disparaît-on allègrement légère et guillerette sans un regard sur ce que l’on abandonne derrière soi en se laissant uniquement porter par les vents doucereux remplis de promesses  ?



Se projeter dans un ailleurs qui promet le meilleur, qui stimule le corps et l’esprit de vivacité qui enchantent par toutes les perspectives attendues de relèvement, de mieux-être, et d’accomplissement ; voilà l’eldorado espéré par les migrantes établies ou mortes-vivantes des temps modernes. Oui, la vie peut-être belle sur les nouvelles terres qui augurent la paix de l’esprit, sauf qu’il n’est pas si aisé pour l’esprit d’être en paix tant que l’important n’est pas réglé, tant que l’on n’a pas fait le point de soi, tant que l’on n’a pas endossé la responsabilité totale de son cheminement ; la posture factuelle poursuit, harasse, culpabilise et instaure un affrontement sans répit entre identités, assimilation, acculturation. Les racines s’arrachent difficilement n’en déplaise à la rage de vaincre tous les déboires, et la joie d’être sur les sols espérés, malgré les réussites fulgurantes ou en dépit des échecs cuisants les racines s’imposent implacables, tenaces ; elles jouent presque toujours gagnantes contre tous les pronostics contraires.



Se manifeste la mélancolie de ne pas être au bon endroit, de se frotter aux réalités d’une terre fantasmé, qui parait soudain peu réconfortante. Apparaissent aussi les peines, qui assaillent le cœur de n’être ni intégrées ni exclues du fait du regard de tous les tiers, qui jaugent, à portée de courtes vues, incapables de déceler la dimension de l’altérité. Se pointe en contrebas la glaciale sécheresse d’un vivre-ensemble branlant. 



La méconnaissance de l’autre pourfend le besoin impérieux d’inclusion et de marginalisation selon le côté où l’on se trouve. La découverte et l’appropriation n’empêchent en rien les comparaisons qui s’imposent spontanément. Le « je » devient confus, et il n’appartient plus à aucun « nous », ni celui d’ailleurs, encore moins celui d’ici, s’enchainent alors des courses-poursuites entre « je » et « nous » d’ici et d’ailleurs, qui peuvent laisser hagards les tempéraments les plus conciliants. Peut-on forcer le destin d’un « nous » médiateur d’un pont d’humanité ? Le destin peut-il être achevé par l’élagage de racines qui malgré tous les efforts n’arrive pas à relier l’ici et l’ailleurs ? L’esprit, ainsi tourmenté, demande grâce au tout sachant pourfendeur de ségrégation, dont la pensée dissèque au scalpel les insignes différences qui confortent la névrose de réduire l’autre à séant.



 La femme qui vient de loin, peut-elle faire valoir tous les droits de la personne qui sont indiscutablement siens ? Celle qui émigre peut-elle porter sa culture sans être taxée à l’envi d’ignorante  ? Et si d’aventure, elle s’engouffre dans un processus de transformation, elle peut être estimée comme acculturée par d’autres. La femme qui s’établit ailleurs et qui rêve de vivre dans le respect de ce qui constitue ses valeurs et sa manière d’être, doit-elle être exclue et considérée au travers de son foulard habilement noué ou de son hijab dérangeant, qui peuvent refléter dans l’œil étranger un état de fait inacceptable ? À savoir, une personne vulnérable et sous emprise ; elle est ainsi appréciée sur la base de caractéristiques trompeuses qui conduisent à décider à sa place un statut de victime qui l’assigne sous le joug d’une éducation archaïque inconvenante dont il faut la sauver. La neutralité disparaît subitement. La femme migrante doit rentrer dans le moule, aucune explication n’est recevable. On n’admet pas toujours qu’elle est en mesure de choisir, on lui impose d’être comme tout le monde, lisse, et presque parfait. La république laïque devient tyrannique sans sourciller et sans douter de la légitimité de sa posture. Elle est la civilisation et la norme.



Quelle dynamique collective peut faire évoluer le vivre-ensemble en un élan consensuel de considération de l’autre comme soi ? Comment se rejoindre sur le fondement même de ce qui est commun à toutes les femmes pour en faire l’enjeu majeur de reconnaissance de la part d’humanité en autrui, à défaut de sa connaissance ?



S’aimer, en s’ancrant aux racines profondes du terroir ne doit pas empêcher la félicité de s’ouvrir au monde. Croire en la noblesse de sa culture ne donne pas un droit de mépris de tous les autres possibles. Ce sont ces paradigmes qui rendent aussi l’adaptation des arrivantes difficile. La volonté de se fondre dans les méandres de la société en souhaitant être transparente devient irréaliste. L’âme brisée par les déchirements multiples augmente le doute de soi et renforce inexorablement le sentiment d’être de trop, car c’est la seule option offerte par l’adversité imposée dans un environnement souvent hostile à une intégration équitable. 



N’est-ce pas une forme d’obscurantisme que de s’ériger en maitre des bonnes manières et des valeurs ? Le racisme qui exprime une profonde mésestime de l’autre n’empêche-t-il pas la femme migrante d’embrasser sereinement, ce qui est miroité, convenable, mais dont on lui dénie paradoxalement l’usage, parce qu’elle n’en serait pas digne ? 

Surviennent des jeux de rôles sociaux qui n’octroient rien de pertinent à celle qui malgré l’arrachement aux siens et toutes les énergies fournies ne peut trouver de points d’ancrage dans un ailleurs inhospitalier. Advient ainsi le repli instinctif sur soi, et vers sa communauté qui n’augure d’aucune avancée d’intégration. Mais, c’est le premier réflexe qui restaure l’estime de soi et le désir de ne pas perdre les racines profondes délaissées pour des raisons diverses. 



Il est heureusement possible de se créer un monde différent à force de pugnacité et d’efforts soutenus. Il est envisageable de s’accommoder tant bien que mal des réalités en incluant une dimension d’un nouveau « nous » en recherche de mieux-être et d’harmonie, tout en gardant un peu de l’ancien. On peut parfaitement maitriser les codes des deux, mais le « je » ne se fragilise-t-il pas en essayant de conduire de front la quête d’un équilibre qui ne peut se faire qu’en arrachant délibérément une partie des racines ?  



Les migrantes sont en mesure de sauver ce qui sied pour transcender toutes les misères de l’exil dont le goût âcre se rappelle sans cesse à elles qui ont décidé, de pourfendre des enjeux multiples, pour saisir la diversité comme une expression de résilience qui unit, relève et honore le semblable de la même manière que soi.


Fatoumata Kane Ki-Zerbo

Boubou by Rose Samb

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