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Les patients experts: une avancée dans la prise en charge thérapeutique

BREF HISTORIQUE

Dans les années 60, le Dr Howard Barrows, neurologue américain et enseignant à l’Université de Caroline du Sud, constate que ses étudiants en médecine sont insuffisamment formés aux pratiques de consultation et à la communication avec les patients. Il crée ainsi en 1963 le concept de « patient standardisé » (ou « patient simulé ») qu’il décrit en ces termes : « il s’agit d’une personne qui a été si soigneusement entraînée à jouer le rôle d’un véritable patient qu’aucun clinicien ne pourrait détecter une simulation. Dans cet exercice, le patient standardisé présente la psychologie du patient non pas seulement dans son histoire, mais dans le langage corporel, les signes physiques ainsi que les caractéristiques émotionnelles et de la personnalité »


Par la suite, ce patient standardisé est ainsi en mesure d’apporter un feedback à l’étudiant à la fois sur la manière dont s’est déroulé l’examen clinique, mais également sur les compétences mises en œuvre dans le domaine de la communication. Des années 70 jusqu’à aujourd’hui, un nombre croissant de facultés de médecine utilise cette approche, essentiellement aux États-Unis, au Canada ou en Grande-Bretagne. Dans les pays francophones européens, seule la Suisse a intégré des patients standardisés dans ses programmes de formation médicale. En France, lorsque des simulations de consultation sont proposées, ce sont en général des encadrants de la formation qui jouent le rôle du patient, même dans le cadre d’initiatives visant à simuler, par exemple, l’annonce d’un cancer.


Parallèlement à cette intervention de patients « standardisés », de nouvelles méthodes de formation faisant appel à des personnes réellement porteuses d’une pathologie ont vu le jour au cours des vingt dernières années. Aux USA, le « programme patient partenaire » (PPP) voit le jour. Développé en France fait intervenir, dans le cadre du 2e cycle des études de médecine, des patients atteints. Les personnes concernées sont toutes volontaires et reçoivent en premier lieu une formation de deux jours « sur la maladie, son évolution, ses conséquences et ses traitements (…), ainsi qu’une formation à la communication afin d’aboutir à une véritable mise en situation autour du travail d’enseignant qu’ils auront à accomplir par la suite ».

Ils interviennent auprès d’un petit groupe d’étudiants en suivant une programmation spécifique qui prend en compte des éléments de la maladie tels que : l’examen clinique, les traitements, la gestion de la maladie par le patient, la relation soignant-soigné. Il ne s’agit donc pas ici d’une simulation de consultation, mais bien d’un enseignement spécifique délivré par le patient lui-même, à la fois fondé sur sa propre expérience et sur une formation suivie en amont.

Cette initiative se décline maintenant en France dans le cadre de formations diverses pathologies, mais est peu reconnue. Il n’existe pas de tels dispositifs dans les facultés de médecine en Afrique de l’Ouest.

Le fort impact de l’épidémie de VIH/sida dans de très nombreux pays en Afrique corrélé au nombre insuffisant de personnels de santé a cependant été à l’origine d’une implication grandissante des personnes atteintes de cette pathologie, tant dans le domaine de la prévention que dans la prise en charge de la maladie et de ses conséquences.

Ce sont, en grande majorité, des organismes internationaux, tels que l’Organisation mondiale de la santé, qui ont initié dès le début des années 2000 des programmes visant à faire appel à des personnes vivant avec le VIH les impliquant dans la formation du personnel médical.


EXEMPLE DES PATIENTS EXPERTS DANS LE DOMAINE DU VIH EN AFRIQUE DE L’OUEST


Expérience, expert

L’expérimentation est conçue comme une pratique individuelle et collective. Les différents moments de la vie de l’enfance à la vieillesse sont pourvoyeurs de compétences. La notion de situation joue aussi un rôle majeur. En ce qui concerne la santé, il peut s’agir d’un élément traumatisant qui nous confronte avec la maladie. Elle peut être aiguë, mais aussi chronique et devenir centrale. Dans ce cas nous abordons ces épisodes avec des connaissances préexistantes qui vont s’associer au vécu de notre situation de santé du moment.

Elle peut désigner aussi tout à la fois le processus de l’expérience, que l’on retrouve dans la locution « faire l’expérience de quelque chose », et le produit de cette expérience, « avoir l’expérience de quelque chose ».

Les personnes porteuses du virus le ressentent comme un vécu unique interne. Cependant, on remarque qu’elles sont désignées ou reconnues comme patient expert à partir de la reconnaissance de l’exercice d’une activité. Celle-ci peut être du témoignage, de la prévention, du conseil prétest et post-test, de l’aide à l’observance, du conseil psychosocial.

Le parcours apparaît comme le moyen privilégié de développement de la compétence et aussi comme vecteur d’apprentissage.

L’idée que la construction de l’expertise est susceptible d’être une notion avantageuse à la création d’une interface de signification entre le champ des pratiques et celui de la recherche. L’expérience de ce fait constitue un pont et favorise des échanges entre les espaces sociaux de l’action et ceux du des savoirs académiques.

Des termes différents peuvent être utilisés pour désigner les patients détenteurs d’un savoir sur leur maladie et sur la maladie dont ils souffrent. Ils sont des patients experts, des patients formateurs ou aides-formateurs, des usagers experts.


Définitions du patient expert selon certains patients experts VIH


Toutes les personnes rencontrées soulignent trois points importants qui définissent ce qu’est un patient expert. Il s’agit de :

  • L’expérience,

  • L’engagement,

  • La formation.

Un patient expert est un patient qui accepte sa maladie, qui ignore la stigmatisation, qui est observant, qui connait bien la maladie et qui est en mesure d’encourager, d’accompagner, de consoler, de transmettre son savoir être et son savoir-faire à d’autres patients.


Apprentissage formel et informel, autoformation

Les concepts de formels et d’informels me semblent fondamentaux. Les communautés de pratiques offrent sur les savoirs des personnes infectées par le virus de l’immunodéficience acquise un éclairage important. Des personnes infectées par le VIH construisent des savoirs tout au long de leur parcours thérapeutique.

Elles acquièrent des savoirs de manière informelle et plusieurs espaces-temps sont investis :

  • réunions d’autosupports,

  • séances de sensibilisation /d’information,

  • rencontre dans les salles d’attente des associations,

  • réunions avec les partenaires,

  • dans les groupes de paroles où sont exprimées des difficultés à vivre sa séropositivité,

  • durant les repas communautaires,

  • etc.

Les personnes vivant avec le VIH possèdent pour la grande majorité des savoirs d’actions, d’expériences, existentielles, autodidactes et plus rarement professionnelles. Quelques rares individus cumulent tous ces savoirs et ont construit aussi un savoir savant. Elles ont appris en agissant et en réfléchissant sur leurs actions. Celles qui militent au sein d’une association possèdent un large éventail de compétences. Aussi, elles sont cooptées par diverses organisations du fait de leurs aptitudes à aider les autres, à les écouter, à poser des questions.


Les associations qui se sont rendu compte que les structures officielles n’avaient pas de réponse aux questions posées par cette épidémie se sont retournées vers des ONG internationales qui les ont aidées à mettre en place des formations qui au fil du temps se sont structurées. De nos jours il existe un Diplôme Inter universitaire (DIU) qui forme les membres des associations et dont certains sont devenus des formateurs. Au sein du module psychosocial du DIU, la société civile échange sur les pratiques et les solutions apportées aux problèmes posés.

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Savoirs et santé

On constate que les personnes concernées passent par différents stades. L’information est :

  • Diffuse, elle est reçue de manière distraite, elliptique. À ce stade, nous ne sommes pas intéressés par les sources de l’information.

  • Impliquée, la personne est concernée et recherche plus d’informations et de documentation. La connaissance est marquée par notre intérêt.

  • Expérimentée, on note une confrontation entre nos informations et connaissances emmagasinées et celles de notre vécu. Le lien entre ce qui est la santé en général et notre santé en particulier se produit à ce stade.

Après le choc de l’annonce de la séropositivité au VIH, un passage en revue des informations reçues est opéré. On peut constater par la suite une recherche plus systématique, une comparaison avec les informations préalables. Tout est examiné, les modes de contaminations, les traitements, les recherches médicales sur le sujet, les organisations actives dans les domaines et les financements octroyés. Il s’agit à cette étape de « connaissances expérimentées ».


Participation/engagement

En effet, la participation dans des actions associatives et communautaires forge les connaissances sur sa propre santé, sur les traitements, les effets secondaires et sur leur engagement politique pour faire changer les pratiques dans l’accès aux informations et aux soins. Ceux qui participent à des degrés divers à la vie de la communauté et aux activités associatives acquièrent des connaissances et apprennent à les utiliser pour améliorer leurs conditions de vie. Ils s’en servent aussi pour communiquer et deviennent eux-mêmes des formateurs et des modèles. L’engagement veut aussi dire inventer de nouvelles voies et solutions. C’est aussi oser faire et exiger par exemple des autorités administratives et sanitaires.


Certaines d’entre elles sont passées par un processus d’apprentissage informel lié à l’insertion dans d’autres réseaux d’apprentissage semi-formels puis ont intégré un circuit formel. Certaines de ces personnes infectées par le VIH ont commencé à donner du conseil à leurs pairs, puis on rejoint des réunions ou des groupes de discussion pour renforcer leurs actions. Ensuite, elles s’inscrivent dans des réseaux associatifs pour partager leur expérience. Des modules de formations sont proposés et au fil des années les cycles de formations sont devenus de plus en plus complexes et spécialisés. Il existe de nos jours un diplôme Inter universitaire sur le VIH (DIU) en Afrique de l’Ouest.


Qu’est-ce cela implique ? Relation avec les médecins

Globalement le fait d’être un patient expert modifie les relations avec le médecin, les autres patients et apporte un plus sur les programmes de santé.

Dans la relation patient-médecin on remarque : l’amélioration des prestations médicales, une meilleure relation entre le médecin et son patient, du dialogue et de la compréhension, un meilleur suivi. Les relations avec les autres patients montrent : plus d’assurance du patient expert, et parfois de la frustration de la part des patients dits non experts.

L’incidence sur le volet programmatique se manifeste par une meilleure planification des actions de lutte contre le sida pour l’exemple qui nous concerne, par la prise en compte des plaintes et critiques du patient. La participation et l’implication du patient expert dans les exercices de planification et de programmation ont pour conséquence plus de respect des droits humains, l’amélioration des traitements ARV par la prise en compte des effets indésirables décrits par les personnes et l’inclusion des aspects de genre dans la prévention.

Au début de la lutte contre le VIH, les patients ont tissé des relations fortes avec les agents de santé qui ont décidé de s’impliquer personnellement alors que leur administration ne s’était pas encore saisie du problème.

Une relation d’égalité s’installe entre le médecin et son patient. Ils ont chacun quelque chose à apprendre de l’autre. Des patients experts constatent que depuis le début de l’épidémie, les relations avec les médecins ont beaucoup changé notamment l’attitude des médecins. Le médecin est considéré par certains comme un frère, un confident et même un égal. Ils lui apportent des informations et des conseils dans sa relation avec les autres malades. Dans certains cas, ils peuvent se passer du médecin, car les connaissances acquises leur permettent d’avoir le bon geste. Le sida a bouleversé les relations entre soignants et soignés nous explique un intervenant. Ces changements ont des répercussions sur d’autres maladies chroniques et ont contribué à remettre en question le pouvoir incontesté du corps médical et ont amené le patient à devenir un acteur de sa propre santé.


La question de la transférabilité (éducation formelle)

La transférabilité, n’est pas centrale, c’est en quoi ces savoirs sociaux sont-ils utiles et utilisables pour améliorer les conditions de vie. Il nous semble que ces savoirs ne peuvent que modifier les manières d’apprendre et d’entrer en contact avec le réel. Les savoirs savants, académiques sont destinés à être transférés et c’est ce qui marque la spécificité des systèmes d’éducation formelle. Ce qui n’est pas a priori le cas des savoirs expérientiels.


Valorisation et validation de l’expertise


De quelle manière les personnes valident-elles leur savoir ?

C’est le feedback qu’elles obtiennent de leur entourage qui fait prendre conscience du chemin parcouru et des changements survenus. Elles sont plus confiantes dans leur aptitude à conseiller, à parler avec les autres à participer à des réunions et donner leurs avis. Elles sont sollicitées par d’autres pour résoudre des conflits et proposer des programmes.

Ce sont les pairs, les bénéficiaires des associations, mais aussi les médecins, le personnel soignant en général qui valorise et valide l’expert et son travail. Les personnes infectées militantes associatives soulignent que le fait d’informer les autres, de les soutenir leur apporte beaucoup de satisfaction et met en exergue leurs potentiels et leurs savoirs.

Les PVVIH ont été sollicitées pour devenir membres des instances de lutte contre le sida aussi bien au niveau national qu’international ; l’obligation de leurs présences est validée dans les textes officiels. C’est l’un des signes de reconnaissance et de validation de leurs expertises.


Obstacles à la valorisation et la validation

L’obstacle majeur semble être le niveau de scolarisation des leaders particulièrement les premiers qui ont osé de lancer et bousculer l’ordre établi. Il s’agissait pour eux d’une question de survie. Même si de nombreuses formations sont dispensées, elles ne se sont pas sanctionnées d’un diplôme, mais par des attestations qui ne sont pas valides partout.


Yvonne Tavi Ouattara


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