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Chocolaté — le goût amer de la culture du cacao de Samy Manga

Samy Manga est un écrivain, ethnomusicien, sculpteur et militant écologiste camerounais résidant actuellement en Suisse. Se définissant généralement comme un enfant de la forêt, il est le fondateur de l’Association des Écopoètes du Cameroun, et par ailleurs, Directeur artistique de l’espace Artviv Projet de Lausanne. Après son livre Opinion poétique — Grand Prix de poésie africaine d’expression française en 2021 — coécrit avec Caroline Despont (L’Harmattan, 2020), il publie Chocolaté-le goût amer de la culture du cacao (Éditions Écosociété, 2023).




L’Écopoésie, dont Samy Manga est le promoteur, est consubstantielle à une esthétique centrée sur l’environnement. La démarche de cette esthétique étant de militer pour la préservation de la biodiversité. L’auteur camerounais est donc un Écopoète, dont la mission est d’écrire dans l’optique de sensibiliser et de célébrer la richesse de la nature que l’on gagnerait à protéger de l’avancée compulsive de la modernité. Fidèle à cette démarche, Samy Manga publie Chocolaté-le goût amer de la culture du cacao, qui est un récit autobiographique, poétique et même politique qui expose le calvaire des cultivateurs de cacao dans les villages africains. Né dans une famille de cacaoculteurs, l’auteur a vécu de près l’expérience de la culture de cette matière première tant prisée. À travers le parcours d’Abéna âgé de dix ans en 1990, il puise donc dans son enfance pour dévoiler les difficultés endurées par les villageois et les abus qui s’imbriquent tout au long de la chaîne de production du cacao.

« Depuis mon plus jeune âge, mes oncles, mes frères aînés, grand-père et moi avions défriché des hectares de forêts, brûlé des montagnes d’herbes, délié des kilomètres de lianes et creusé des milliers de trous au début de chaque nouvelle saison agricole. Mais bien avant ce labeur, grand-père transformait le flanc de la rivière en une gigantesque pépinière où nous passions des semaines à enterrer des fèves de cacao sélectionnées et réparties dans des sachets plastiques remplis d’une terre noire composée de détritus alimentaires, d’humus et d’engrais acquis auprès des acheteurs de cacao ».

Il faut dire que la culture du cacao dans son ensemble est un processus de destruction de l’environnement à plusieurs niveaux. Dès la création des champs, il y a un déboisement abusif et une grande utilisation des produits chimiques qui tuent progressivement le capital sacré que couve la nature. Cette activité est à l’origine de la disparition de certaines espèces, qu’elles soient animales ou végétales. Au moment où l’arbre-cacao produit déjà ses fruits, il y a une grande utilisation des engrais chimiques qui permettent de booster la production et d’avoir une récolte abondante. Mais ces engrais appauvrissent inéluctablement le sol et sont d’ailleurs nocifs pour la santé de l’homme. Durant tout ce processus, le cultivateur utilise essentiellement ses forces physiques, faute d’avoir le matériel adéquat par manque de moyens financiers.

Enfin vient le temps de la récolte. Après un travail pénible en plusieurs étapes, les fèves sont extraites pour être séchées. Et c’est à partir de ce moment que les négociants et les transformateurs entrent en jeu. Les prix sont souvent imposés aux cultivateurs qui n’ont aucun pouvoir de décision sur le prix de vente de leur récolte. Avec certaines complicités de connivence avec des multinationales étrangères, le fruit de leur dur labeur leur est presqu’arraché, à un prix qui est loin de correspondre à la valeur réelle. Ainsi se résume le chemin de croix des cultivateurs de cacao. La culture du cacao a un goût amer !

À ce niveau, il est question pour Samy Manga de montrer aux consommateurs des dérivés du cacao à travers le monde d’où ils partent pour arriver sur leur table, de mettre en lumière le processus complet de la transformation de la fève de cacao en chocolaté. Tout ne part pas des usines de transformation, mais plutôt des champs de production, une étape parfois oubliée consciemment. Le cacao-culture est une forme d’esclavagisme voilée, de l’esclavage moderne qui perdure sous le regard indifférent des décideurs. Le cultivateur qui est au centre et au départ de tout ce processus est le plus misérable de la chaîne d’intérêts et de bénéfices. Au point où il est incapable d’acquérir une plaquette de chocolat qui revient pour la plupart du temps de l’Occident, à cause de son prix relativement exorbitant. L’injustice est palpable !

L’Afrique offre environ les deux tiers de la production mondiale de cacao — les abus sont énormes en termes d’appauvrissement du cultivateur, de pollution de l’environnement, et de dégradation de la biodiversité. Par conséquent, elle semble perdante à plusieurs échelles. Le livre Chocolaté-le goût amer de la culture du cacao est de ce fait une invitation à plus de responsabilités, d’autonomie aussi bien dans la production que dans la transformation de son cacao, six décennies après les indépendances. C’est ce sursaut d’orgueil que Samy Manga voudrait impulser à travers ce livre.


Boris Noah


@créditphoto Globe Echo

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