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Le verbe libre ou le silence : un chant de liberté

Le verbe libre ou le silence est la plus récente parution de Fatou Diome. C’est un essai publié à la rentrée littéraire 2023, aux Éditions Albin Michel. L’écrivaine sénégalaise y sonne une cloche d’indépendance. Elle y clame la souveraineté de l’écrivain qui ne devrait pas s’enliser dans les sables mouvants des exigences de l’éditeur. Lesquelles exigences renseignent que ce dernier surfe majoritairement sur des bases subjectives.




« Alors, qu’est-ce qu’écrire ? C’est croire assez en la prométhéenne force de sa fragilité humaine pour prêter plus l’oreille à la complainte des petites gens qu’aux serments des puissants et n’implorer que Sirius dans toute nuit. L’écriture rit comme elle pleure ; maillant les joies et peines, elle tisse le pacte intime qui lie l’auteur à la vie. Écrire, c’est maintenir la continuité de son souffle. Alors, peut-on adapter sa plume aux désidératas d’autrui sans trahir sa propre quête ? Et, qu’advient-il d’un écrivain, lorsque les exigences d’un éditeur en arrivent à lui ôter le désir d’écrire ? Le verbe libre ou le silence ! »


Le verbe libre ou le silence est un essai aux relents de Qu’est-ce que la littérature ? de Jean-Paul Sartre, publié en 1948, où l’auteur exprimait sa vision de la littérature : l’engagement littéraire. Fatou Diome parle de sa vision de l’écriture. Elle met suffisamment un accent sur le rôle de l’écrivain, qui est de peindre le monde sous son regard. Selon le regard de l’écrivain, le monde peut être une fresque de joie ou de tristesse, ou alors un mélange des pleurs et des rires, où s’entremêlent la beauté et la laideur. Toujours est-il que le choix devrait se faire en toute liberté, en laissant couler son imagination sur du papier. C’est l’écrivain qui devrait délibérément choisir les ingrédients qui lui semblent judicieux pour la beauté et la portée de son texte, loin des exigences parfois non-littéraires de l’éditeur. Même si l’on ne saurait dénier le rôle prépondérant de l’éditeur dans le processus de publication du texte et de sa promotion, cela ne devrait pas engloutir ce que l’écrivain a de plus cher : la liberté de penser.

« Depuis, je formule des remerciements rétrospectifs quand je pense à celles et ceux qui m’éditaient jusqu’alors, sans s’immiscer dans mon tango avec ma plume, sans ruiner ma bonne humeur. Sans m’en douter, je vivais alors dans une sorte de paradis éditorial, où mes éditrices et éditeurs, curieux du monde et de ce que l’imagination d’autrui pouvait leur proposer — comme devrait l’être tout éditeur — se réjouissaient, chaque fois, de découvrir mes textes. Des textes tricotés en toute liberté, dans le secret de mes nuits alsaciennes ».

Les conseils pour une quelconque amélioration du texte sont à saluer mais les obligations qui vont jusqu’au changement de son fond et de sa forme cessent d’être légitimes. L’éditeur devrait-il être ce cavalier qui dirige un cheval (un écrivain confirmé) à sa guise ? Non ! L’auteure du célèbre roman Le Ventre de l’Atlantique est péremptoire. Soit l’on écrit librement, soit l’on décide de garder le silence. C’est ainsi qu’il est important de préciser que l’écriture est un acte de plaisir et un impératif naturel chez certains écrivains, motivé par un esprit de liberté. Fatou Diome nous mène donc dans le secret de ses nuits alsaciennes, où le plaisir et la nécessité d’écrire étaient plus fort que tout. Elle part d’une expérience qu’elle a personnellement vécue pour dérouler les multiples abus de certain. e. s éditeurs/éditrices susceptibles de décimer le génie des écrivains. Elle les compare aux loups, dévoreurs de visions, dévoreurs de rêves. Leurs motivations sont, pour la plupart, d’ordre égoïste et leur cupidité est à l’origine des déboires liés au processus éditorial — avec des promotions souvent bâclées, et des promesses non-tenues.


Dans ce texte porté par une verve plaisante et un style poétique remarquable, Fatou Diome pense que les approches dictatoriales de certain. e. s éditeurs/éditrices ainsi que leur cupidité sont à l’origine du manque de créativité et d’originalité qui caractérise la littérature contemporaine. De plus en plus, l’écrivain n’est qu’écrivain de nom, puisque son texte est parfois réécrit par des non-écrivains qui se soucient plus des ventes de l’après-publication que de la qualité stylistique et littéraire des œuvres. Il faudrait davantage protéger et valoriser les écrivains talentueux, parce qu’ils en existent, même si d’autres moins sont prêts à de nombreuses compromissions pour voir leurs livres publiés. Car, « si la légitimité de dire ou d’écrire est à tous, le génie pour le faire ne se répartit pas aussi équitablement », affirme-t-elle.


La littérature ne se résume pas au simple acte d’écrire, il est question d’écrire des livres de qualité dans le respect de la liberté créative. Selon les caprices de son inspiration, l’écrivain devrait en même temps satisfaire ses désirs esthétiques et ses préoccupations utilitaires pour ceux dont il s’érige le porte-parole. Malheureusement, être « écrivain » devient plus un honneur dont on se gargarise ou un titre qu’on brandit au premier venu qu’un don de dire le monde de manière à susciter de l’attention et de faire bouger les lignes en portant un combat dans l’intérêt de la justice, par exemple. « Maintenant, certains en font le signe de leur accession au rang de star. Alors, qu’adviendra-t-il de la littérature, si cette manière de fabriquer les livres des non-écrivains devenait la norme dans l’édition ? Si, pour les éditeurs, publier est synonyme de réécrire et formater, que restera-t-il de l’implication de l’auteur dans son œuvre et de l’authenticité de son univers qu’il est supposé faire partager au public ? »


Boris Noah

@creditphoto brusseltimes.com

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