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Mohamed Mbougar Sarr, Prix Goncourt 2021 !

L’année 2021 est décidément une année de célébration de la littérature africaine dans le monde. Après le Tanzanien Abdulrazak Gurnah qui a remporté le Prix Nobel de la littérature et Boubacar Boris Diop qui a été consacré Neustadt International Prize for Literature, c’est au tour de Mohamed Mbougar Sarr de s’adjuger du Prix littéraire Goncourt, pour son roman La plus sécrète mémoire des hommes (coédité par les Editions Philippe Rey et Jimsaan). Il a été choisi face à Louis-Phillipe Dalembert (Milwaukee Blues, Editions Sabine Wespieser) ; Christine Angot (Le Voyage dans l’Est, Flammarion) et Sorj Chalandon (Enfant de salaud, Grasset). Le Sénégalais est donc devenu depuis le 3 novembre 2021, le premier écrivain d’Afrique subsaharienne à remporter le plus prestigieux des prix français.


100 ans après René Maran…

Le Prix littéraire Goncourt est en fait le plus ancien et le plus prestigieux des prix littéraires français. Il est né de l’initiative des frères Goncourt ; une initiative formulée dans le testament olographe d’Edmond de Goncourt rendu public après sa mort en 1896. Le testament indique la création d’une Société littéraire et d’un prix annuel aux frais des bénéfices issus de la vente de leur patrimoine. Et précise que « ce prix sera donné au meilleur roman, au meilleur recueil de nouvelles, au meilleur volume d’impressions, au meilleur volume d’imagination en prose, et exclusivement en prose, publié dans l’année. » C’est donc ainsi que l’Académie Goncourt fut mise sur pied pour attribuer en 1903, le premier Prix Goncourt à John-Antoine Nau, pour son roman Force ennemie publié aux Editions La Plume. Dès lors, ce prix récompense chaque année un écrivain d’expression française sans distinction d’appartenance raciale ou continentale.


L’histoire retiendra que Mbougar Sarr a remporté le Prix Goncourt 100 ans exactement, après le sacre de René Maran. Il faut dire que René Maran est le premier écrivain noir à remporter le Goncourt, en 1921, pour son roman Batouala (Editions Albin Michel). Un couronnement survenu en pleine période coloniale, qui a mis l’auteur au centre de vives critiques. Pour cause, Maran dénonce dans son roman les abus de la colonisation française et pourtant, il est Martiniquais mais d’origine guyanaise et travaille en Afrique comme administrateur colonial français. D’aucuns estiment qu’il n’est pas suffisamment entré dans les profondeurs des méfaits de la colonisation, tandis que d’autres, en majorité les colonialistes, le voient comme un traître. Dans tous les cas, ce premier « Goncourt noir » est un acte fort dans le monde littéraire francophone, en ce sens qu’il marque la naissance de la littérature négro-africaine. Un Prix Goncourt qui est reçu par un Africain de l’espace subsaharien, lors du centenaire de cette récompense de René Maran est donc symbolique.


En effet, la place des auteurs d’origines africaines dans le palmarès du Prix Goncourt est loin d’être reluisante. Ce, malgré tous les grands noms de la littérature qu’a connus le continent africain, et aussi malgré les parcours remarquables de certains auteurs africains. On peut évoquer le cas du Guinéen Saïdou Bokoum, qui a été le premier finaliste africain du Goncourt en 1974 avec son roman Chaîne (Denoël). Il ne l’a malheureusement pas gagné et pourtant il était vu comme le favori de cette édition. On citera aussi des noms comme Ahmadou Kourouma, Alain Mabanckou, Thierno Monénembo et tout récemment Djaïli Amadou Amal, qui sont passés si près de le remporter au cours de ces deux dernières décennies. Le premier vainqueur africain du prix arrive en 1987, il s’agit du marocain Tahar Ben Jelloun avec son roman à succès La Nuit sacrée (éditions Seuil). Marie Ndiaye − bien qu’étant née en France d’un père sénégalais et d’une mère française, et ne se reconnaissant pas vraiment africaine – va également s’illustrer en l’obtenant en 2009 avec Trois femmes puissantes (Gallimard). Et l’Algérienne Leïla Slimani, avec sa célèbre Chanson douce (Gallimard), va le gagner en 2016.


Une trajectoire fulgurante !

Le moins qu’on puisse dire est que Mohamed Mbougar Sarr connaît une trajectoire littéraire fulgurante. Né en 1990 au Sénégal, Mbougar Sarr est fils de médecin et l’aîné d’une famille de sept enfants. Il entre au lycée français de la Défense du Prytanée militaire de Saint-Louis au Sénégal, en 2002, et y poursuit un parcours élogieux. Passionné de littérature et de philosophie, il rejoint la France en 2009, après avoir passé son Baccalauréat. Après avoir choisi les classes préparatoires littéraires au Lycée de Pierre-d’Ailly de Compiègne, il intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) où il y poursuit jusqu’à présent une thèse de doctorat. « Je n’ai pas terminé ma thèse, parce que j’ai commencé à beaucoup écrire ce moment-là, et que la fiction l’a emporté », déclare-t-il. Sa thèse porte sur le roman africain francophone de l’année 1968. Une année qui marque la publication de trois romans qu’il « estime majeurs dans l’histoire moderne de la littérature africaine francophone » : Le Devoir de violence de Yambo Ouologuem ; Les Soleils des indépendances de Ahmadou Kourouma et La Plaie de Malick Fall.


Mohamed Mbougar Sarr fait ses premiers pas dans le monde littéraire en début des années 2010, à travers des chroniques qu’il publie constamment sur son blog. En 2013, il publie la nouvelle intitulée La Cale qui reçoit en 2014 le Prix Stéphane Hessel de la Jeune Ecriture Francophone pour la catégorie Nouvelle, organisé par RFI et l’Alliance Francophone. Mais c’est en 2014 que le monde littéraire va véritablement le découvrir, avec la publication de son premier roman Terre ceinte publié aux Éditions Présence Africaine. Ce roman a reçu en 2015 : le Prix Kourouma, le Grand Prix du Roman Métis et le Prix du roman métis des Lycéens. Ce roman avait également été sélectionné dans la liste des finalistes du Prix des Cinq continents de la Francophonie de 2015. La même année, il est élevé au grade de Chevalier de l’Ordre national du mérite par le Chef d’Etat sénégalais.


En 2017, il participe aux Jeux de la Francophonie à Abidjan et remporte la médaille de bronze au concours culturel de littérature. Il publie également son deuxième roman, Silence du chœur (Présence Africaine, 2017). Lequel va gagner en 2018, le Prix Littérature-monde remis dans le cadre du Festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo et le Prix littéraire de la Porte Dorée. Son troisième roman, De purs hommes, paraît aussi en 2018 chez son éditeur actuel Philippe Rey. Et en cette année 2021 qui est toujours en cours, il a remporté avant le Goncourt, le Prix Transfuge du meilleur roman français avec La plus secrète mémoire des hommes et reste en lice pour d’autres sélections.


Hommage à Yambo Ouologuem

La plus secrète mémoire des hommes est une mise en fiction du malheureux destin de Yambo Ouologuem. L’écrivain malien est le premier africain à remporter le Prix Renaudot en 1968, à l’âge de 28 ans, pour son roman Le Devoir de violence (Seuil, 1968). Alors qu’il était au sommet de sa gloire, célébré par tous, Ouologuem a vu sa vie basculer à cause d’une histoire de plagiat. Il a été accusé d’avoir plagié les romans : C’est un champ de bataille de Graham Greene (le livre paraît en anglais bien avant, mais la traduction française est publiée en 1953 chez Robert Laffont) et Le Dernier des justes d’André Schwartz-Bart (paru aux éditions Seuil en 1959, Prix Goncourt la même année). L’écrivain malien va malheureusement passer de la gloire à la déchéance. Très meurtri à cause de ces accusations, Yambo Ouologuem, après avoir tenté de se défendre en vain, va totalement se retirer du monde littéraire jusqu’à sa mort en 2017. La consécration du livre de Mbougar Sarr est aussi un hommage bien mérité rendu à Ouologuem dont l’œuvre querellée qui avait disparu du marché, a été rééditée par les Editions Seuil quelque temps après sa mort.


Pour finir, nous ne pouvons que saluer ce succès qui fait honneur aux Lettres africaines. Mohamed Mbougar Sarr, qui devient parallèlement l’un des plus jeunes lauréats de l’histoire du Prix Goncourt, pense que l’Académie Goncourt vient d’envoyer un signal fort à tous les milieux littéraires francophones. « Je ne voudrais pas du tout qu’on pense que cette récompense relève de quelque chose d’exceptionnel, un régime d’exceptionnalité. Ce n’est pas une faveur qu’on fait à un écrivain africain, ce n’est pas parce qu’il est africain qu’il l’a eu. J’espère vraiment que c’est parce que d’abord, il y a un livre qui est à la base de tout cela. Mais, évidemment je n’ignore pas les questions politiques qui peuvent y avoir derrière une récompense semblable, et je remercie vraiment le jury d’avoir eu ce geste-là, cette pensée-là, qui n’est pas un geste de faveur [mais] un geste littéraire » poursuit-il. Mais ce qui est intéressant pour lui, « c’est qu’à partir de l’espace littéraire, on peut penser les questions plus politiques liées maintenant à l’espace francophone de façon plus générale, au sein duquel la France figure, au sein duquel le Sénégal figure, au sein duquel Haïti figure, au sein duquel beaucoup de pays figurent. Mais une fois que j’ai dit tout cela, j’espère surtout que c’est d’abord de littérature qu’il s’agit ici, au sens le plus noble de terme. Donc je suis très heureux pour cela. »


Boris Noah




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