Le 35e Sommet de l’Union Africaine se tient ce week-end à Addis Abeba, avec pour thème : « Renforcer la résilience en matière de nutrition sur le continent africain : accélérer le capital humain, le développement social et économique ». Les Chefs d’États membres de l’organisation panafricaine se réunissent les 5 et 6 février 2022, dans la capitale éthiopienne, pour parler des problèmes qui secouent le continent. Ce Sommet qui coïncide avec le vingtième anniversaire de l’UA − née en 2002 des cendres de l’Organisation de l’Unité Africaine qui existait depuis 1963 − s’annonce assez houleux au regard de certaines thématiques qui feront sans doute l’objet des débats.
Succession des coups d’État
Le débat autour de la succession des coups d’État en Afrique en général et dans l’espace CEDEAO en particulier est l’un des plus attendus au cours de ce Sommet. Ces derniers mois, l’Afrique n’a cessé de valser au rythme des coups d’État. En Afrique de l’Ouest notamment, on a connu trois putschs militaires en l’espace d’un an et demi. Après le Mali où la junte dirigée par le Colonel Assimi Goîta avait renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020, il s’est produit un coup d’État en Guinée-Conakry en septembre 2021. Ce dernier qui a vu le Colonel Mamadi Doumbouya prendre le pouvoir après avoir renversé Alpha Condé. Et tout récemment, c’était au tour du Burkina Faso d’entrer dans la danse. Le président Roch Marc Christian Kaboré a été contraint à la démission le 24 janvier dernier, par un groupe militaire dirigé par le Lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Nous pouvons aussi évoquer quelques tentatives enregistrées en Guinée-Bissau par exemple.
Le plus curieux dans ces différents coups d’État c’est le soutien indéfectible des gouvernements militaires par les peuples concernés. Vers une ère de légitimation des coups d’État en Afrique ? Nous n’en sommes peut-être pas encore là, mais ces soutiens témoignent un malaise profond. C’est en réalité l’expression du ras-le-bol des populations lasses de subir les affres de la mal-gouvernance et des dictatures voilées où les lois sont taillées à la mesure des dirigeants soucieux de rester au pouvoir le plus longtemps possible afin d’assouvir leurs intérêts. C’est aussi l’expression d’une certaine souveraineté du peuple qui voit en ces coups d’État, la voie de sortie de plusieurs crises accentuées par des ingérences extérieures. Ce sujet s’annonce tendu d’autant plus que les soutiens divergent. On l’a vu sur le cas du Mali qui, après sa mise sous embargo par la CEDEAO, a reçu des soutiens de plusieurs pays. Le Burkina Faso vient aussi d’être suspendu par la CEDEAO et l’UA, de toutes ses activités au sein de ces organisations, « jusqu’au rétablissement effectif de l’ordre constitutionnel dans le pays. »
L’accréditation de l’Israël
L’accréditation de l’Israël fera aussi grand débat lors de ce 35e Sommet de l’UA. La polémique est née depuis juillet 2021, quand la Commission de l’Union Africaine, présidée par Moussa Faki Mahamat, a autorisé l’Israël à devenir membre observateur auprès de l’organisation panafricaine. Cette décision ne fait pas l’unanimité à cause du conflit israélo-palestinien. De nombreux pays sont contre cette accréditation et estiment que cette décision va à l’encontre des principes et de la vision de l’UA, qui avait déjà refusé plusieurs demandes de l’État israélien pour ce statut. Mais Moussa Faki a déclaré dans un communiqué le 6 août 2021 que cette décision « a été prise sur la base du constat de la reconnaissance d’Israël et le rétablissement de relations diplomatiques avec lui par une majorité supérieure aux deux tiers des États membres de l’UA, et à la demande expresse d’un bon nombre de ceux-ci en ce sens ». Et a réitéré « l’attachement indéfectible de l’organisation panafricaine aux droits fondamentaux du peuple palestinien, y compris son droit à la création d’un État national indépendant, ayant comme Capitale Jérusalem-Est, dans le cadre d’une paix globale, juste et définitive entre l’État d’Israël et l’État de Palestine ».
Il faudrait rappeler que plus de 90 partenaires extérieurs sont accrédités par l’UA comme membres observateurs ; parmi lesquels certains organes de l’ONU, l’Union européenne et plusieurs pays issus des autres continents. Israël avait déjà ce statut auprès de l’OUA, mais l’avait perdu lorsque l’organisation avait été remplacée par l’UA. Le ministre israélien des Affaires étrangères a salué cette accréditation, il y a quelques mois, en précisant que son pays aidera l’UA dans la lutte contre la Covid-19 et le terrorisme notamment. Et pour le directeur adjoint des affaires africaines de son ministère, il était temps de sortir des relations essentiellement bilatérales entre l’Israël et certains pays africains : « travailler au niveau bilatéral avec de nombreux pays africains est formidable et c’est le fondement de la relation avec l’Afrique. Mais il est également important pour l’Israël d’établir des relations formelles avec l’Afrique en tant que continent. »
La Covid-19, l’insécurité, les financements…
La pandémie de Covid-19 qui continue de battre son plein reste un sujet préoccupant pour l’Afrique. Bien que la maladie commence à connaître une régression considérable, les pays africains restent soumis à plusieurs contraintes auxquelles elle les expose. Cette crise sanitaire a par exemple aggravé l’insécurité alimentaire et la malnutrition dans le continent. Il est de bon ton de trouver les moyens pour y remédier. Bien plus, la question du vaccin et de la passe sanitaire continue de se poser dans certains pays, tandis que d’autres n’y prêtent pas oreille. Les mesures barrières mises sur pied pour lutter contre la propagation du virus demeurent-elles efficaces ? Une interrogation non moins pertinente lorsqu’on sait qu’en Occident où la pandémie fait plus de dégâts, de nombreux pays ont déjà levé leurs restrictions malgré les inquiétudes de l’Organisation mondiale de la santé. En France par exemple, le port du masque n’est plus obligatoire à l’extérieur. Le Danemark a quasiment levé toutes ses restrictions et nous pouvons citer plusieurs autres cas.
L’insécurité quant à elle reste l’un des problèmes cruciaux de l’Afrique depuis des décennies. Le continent est le terreau de plusieurs foyers de tension. Au-delà de la prolifération des groupes djihadistes qui prennent d’assaut plusieurs régions africaines, on a des groupes rebelles et sécessionnistes à la conquête du pouvoir ou d’autres revendications identitaires. L’Éthiopie, pays-hôte du Sommet, est en guerre depuis des mois dans la région du Tigré. Des attaques terroristes se multiplient dans le Sahel, faisant des morts au quotidien. La situation sécuritaire en Afrique demeure préoccupante et reste par conséquent ancrée dans le calendrier de l’UA.
Nous citerons enfin le sempiternel problème des financements en Afrique et au sein de l’UA notamment. Il faut dire que l’Union Africaine n’arrive toujours pas à s’autofinancer, 20 ans après son existence et malgré les grandes puissances économiques qu’elle comporte ; à l’instar du Nigéria, de l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Maroc, l’Algérie entre autres. Les financements extérieurs sont estimés à plus de la moitié du budget total de l’UA. Ces financements viennent de l’Union européenne, de la Chine et d’autres bailleurs de fonds. « La décision de Kigali (Rwanda) en 2016 sur le financement de l’UA adoptant la mise en œuvre du prélèvement à l’importation de 0,2 % a du mal à être implémentée. Cinq ans plus tard, seuls 17 pays représentant environ 31 % des membres de l’UA étaient à divers stades de son application. » (Financial Afrik)
Toutefois, après vingt ans d’existence, c’est aussi l’occasion de faire un bilan. L’Union Africaine qui a toujours prôné l’unité et la solidarité s’est parfois montrée fébrile face à certaines situations des pays membres. On peut brièvement évoquer l’abandon de la Libye aux mains des puissances étrangères, avec à la clé l’assassinat de Mouammar Kadhafi en 2011. Sa non-intervention franche dans la crise postélectorale en Côte d’Ivoire, opposant Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara ; et les cabales fomentées par la CPI pour régler les comptes à certains dirigeants africains sans que l’UA s’y oppose. La solidarité au sein de l’UA semble donc loin d’être effective et l’organisation panafricaine est toujours en quête de son autonomie totale. Mais comment rester indépendant et ne pas subir des ingérences, lorsque plus de la moitié de ses financements sont octroyés par les puissances étrangères ?
Boris Noah
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